LES ORIGINES, LA SITUATION ACTUELLE,
LES PERSPECTIVES D’AVENIR DU LASER EXCIMER.
PROPOS RECUEILLIS AUPRÈS DU PROFESSEUR ALAIN AZEMA EN 2002

Le professeur Alain Azema etait chef du département de physique optique à l’universite de Nice, un des inventeurs du projet de laser excimer appliqué à la correction des défauts de la vue.

I-mag : Vous vous sentiez un peu comme un pionnier à l’époque quand vous avez commencé à travailler sur le laser, c’était un modèle mathématique appliqué à la physique, appliqué à la médecine…L’idée est venu comment ?
A.A. L’idée est venue de la conjonction de deux choses : de la demande des ophtalmologistes qui nous demandaient de transposer l’usage du laser à la keratotomie radiaire. Toute de suite, compte tenu des possibilités du laser, il nous a semblé plus judicieux de changer la surface plutôt que faire des fentes. Donc le projet a démarré grâce à la conjonction de ces deux facteurs : la demande des ophtalmos et le fait que les caractéristiques du laser permettaient de faire autre chose

I-mag : Vous avez travaillé tout seul sur ce projet ?
A.A. Non, on etait quatre ou cinq au début.

I-mag : Quels ont été les plus gros problèmes que vous avez rencontrés ?
A.A. Au début, on a eu des problèmes de stabilité du laser, puis un certain nombre de cornées qui présentaient ce qu’on a appelé plus tard « un haze », qui, d’ailleurs, était lié, en grand partie, à la qualité du faisceau laser.

I-mag : Quand et comment avez- vous considéré que le modèle pourrait être utilisé en pratique ?
A.A. Oh… Ça a été instantané ! Ça a été une espèce de pari ! On a dit : bon, puisque le laser est capable de faire ça, voilà comme on peut procéder pour obtenir le résultat voulu. En théorie ça devrait marcher, donc il ne restait qu’à le prouver dans la pratique

I-mag : Et après, que s’est-il passé? Comment le laser est-il sorti du laboratoire et arrivé sur le marché ?
A.A. On a réussi à convaincre des industriels à investir. C’etait la société Biophysique médicale qui a commencé à investir, filiale de Synthélabo Medicale et…ça a démarré comme ça, dans un garage !

I-mag : De ce moment-là , quels souvenirs avez- vous ? Vous avez suivi le développement du laser ?
A.A. Ah, oui ! mais cela ne s’est pas passé comme on voulait. Synthélabo nous a envoyé quelqu’un qui dirigeait le labo et cela s’est mal passé pour différentes raisons… entre autres, Synthélabo ne s’interessait plus à l’ophtalmologie. Ils ont vendu Biophysique Médicale. Et puis… cela coûtait très cher…

I-mag : Les premiers essais cliniques ont été faits en France ?
A.A. En France à Grenoble. Cela a mis un certain temps, compte tenu qu’il n’y avait pratiquement pas d’ophtalmologistes capables de faire d’opérations, comme à l’hôpital. Donc on a d’abord beaucoup travaillé sur le côté technique et puis efectué des opérations sur les animaux, les lapins, les singes, avant de passer à une dernière étape, l’étape humaine, ce qui a fait que les concurrents avaient déjà pas mal avancé.

I-mag : D’autres équipes dans le monde travaillaient donc au même moment que vous au développement du laser ?
A.A. Le projet américain a été plus vite dans la phase d’essais médicaux parce qu’il etait mené par des ophtalmologistes hospitaliers.

I-mag : A votre avis, est-ce la raison pour laquelle, les Etats-unis ont pris l’avantage sur l’Europe ?
A.A. C’est dû au fait que les ophtalmologistes qui travaillaient sur le projet exerçaient dans des hôpitaux et donc pouvaient faire plus facilment des essais cliniques

I-mag : Quelle a été votre réaction quand vous avez vu que la technique commençait à se répandre et que les patients voulaient se faire opérer ?
A.A. Oh, mais ça a été progressif. Avant c’etait seulement le traitement de la myopie pour des raisons à la fois techniques et médicales. Technique parce que c’etait plus simple et médicale car à l’époque c’etait le marché le plus important.

I-mag : La technologie qui a été développé jusqu’à présent permet d’affirmer que l’action du laser est fiable ?
A.A. Oui, surtout depuis qu’on a développé le système de suivi de l’œil, l’eyetracker, qui interrompt automatiquement et instantanément l’action du laser s’il y a un problème, par exemple si l’œil bouge trop.

I-mag : Quels perfectionnements pensez-vous pourraient encore être apportés aux machines ?
A.A. Je pense que le perfectionnement qu’on pourrait apporter serait un programme adapté au patient. Aujourd’hui on utilise un programme standard et la correction est une correction standard. Je pense qu’on pourrait tenir un petit peu plus compte de la forme de l’œil et avoir une correction adapté à chaque cas. L’evolution est dans ce sens.

I-mag : Est ce que c’est ce qu’on appelle aberrometrie ?
A.A. Non, l’aberrometrie c’est la mesure des défauts de l’œil. Effectivement ça tend vers la même chose, ça tend à personnaliser l’intervention. Aller jusqu’à l’aberrometrie je ne suis pas persuadé que ce soit nécessaire. Il y tellement de fluctuations dans l’œil que le plus petit détail qu’on peut mesurer… non, je ne suis pas persuadé qu’il faille arriver jusque là pour avoir un bon résultat pour le patient.

I-mag : Si j’ai bien compris, donc la personnalisation dont vous parlez intervient plutôt dans la phase du bilan préopératoire, lors du diagnostic?
A.A. Oui, mais en même temps il faut prévoir que la machine puisse s’adapter et modifier son programme en fonction des données sorties du bilan préopératoire.

I-mag : Vous voyez un risque dans le fait de communiquer aux patients qu’il y a la possibilité d’obtenir une supervision ? Est-il nécessaire et judicieux de faire une différence entre une vision optimale, obtenue grâce aux techniques expérimentées, et la supervision?
A.A. Personnellement, je ne crois pas à la supervision, pour la raison que l’œil est une matière vivante, donc il n’a pas la même puissance à trois heures de l’après-midi que le matin. Il n’a pas la même puissance dans le vert, dans le rouge. Les fluctuations qu’on ne contrôle pas sont à ce moment-là plus importantes que la précision de la correction.

I-mag : Le perfectionnement dont vous parliez toute à l’heure, quels avantages apporteraient-ils aux patients ?
A.A. D’avoir une correction beaucoup plus proche de celle qu’on souhaite, surtout dans l’astigmatisme. Et ce n’est qu’un exemple. Pour le reste, ce qui me frappe c’est qu’on corrige un hypermétrope, on améliore beaucoup sa vision de près.

I-mag : Quand on fait des recherches, l’histoire du laser appliqué à la chirurgie réfractive semble commencer seulement au moment où la technique a été développée aux Etats-unis…
A.A. Je crois que çela dépendait de deux facteurs : les difficultés que nous avons rencontrées au moment des essais médicaux sur l’homme et la participation aux congrès où la présence des Américains était massive et imposante. Notre brevet a été déposé en février 1985, quelques mois après ont été déposés les autres brevets. Il ne nous restait qu’à vendre notre brevet qui a été racheté par Summit, qui a attaqué la concurrence sur le plan légal des droits d’exploitation et a gagné ses procès.

I-mag : Votre modèle originale n’est pas arrivé à la commercialisation. Pourquoi ? c’etait trop compliqué ?
A.A. Oui. On etait parti avec une machine complètement automatisée. La machine qu’on avait développée pouvait déjà faire le suivi de l’œil mais à l’époque c’etait trop tôt, on n’avait pas encore les moyens informatiques de calcul. Il a fallu attendre 1995 pour voir les premières machines avec le tracking.

I-mag : Comment voyez-vous l’avenir ? Et le laser solide ?
A.A. Le yag avec la fréquence quadruplé ? Le gros avantage du yag est sa taille. Le gros inconvénient c’est que cet appareil ne peut pas faire des faisceaux, alors que le laser excimer est capable de faire des faisceaux relativement uniformes. Il y un facteur qui pourrait un jour permettre au yag de percer, c’est que, de plus en plus, on travaille par balayage. À ce moment-là, le yag pourrait s’adapter au balayage. Mais l’avantage de l’excimer reste qu’on peut faire soit de la surface soit du balayage.